Le Pub de l’Observateur

The Mansus has no walls

Le par

En mémoire d’Estelle. J’espère que l’Élégiaste ne permettra jamais au monde de t’oublier.

La première fois que j’ai entendu parler de Cultist Simulator, j’ai cru à un jeu parodique. Les années 2010 ont vu leur lot de titres tournant en dérision les jeux de simulation, notamment en transposant le concept à des situations absurdes ou inappropriées, et je suis partie du principe que ce jeu, avec son parti pris légèrement provocateur, allait être dans cette veine.

C’est donc complètement à l’aveugle que je me suis lancée dans Cultist Simulator. Si c’est sans doute la façon d’aborder le jeu la plus fidèle aux intentions de son créateur et de sa créatrice, c’est également une très bonne façon de vivre un vertige assez similaire à celui qui nous saisit quand on manque la dernière marche de l’escalier.

Première constatation, Cultist Simulator n’est pas un jeu parodique. Avec ses textes tour à tour énigmatiques et poétiques, son style graphique évocateur et sa musique atmosphérique, c’est au contraire un jeu qui se prend très au sérieux.

Deuxième constatation, je ne comprends rien à ce qui se passe. Il y a des cartes, mais elles ont des noms comme « Raison » et « Passion », des actions, mais dont les conditions et les effets semblent complètement sibyllins. Il n’y a pas de tutoriel, pas d’aide, pas de documentation. Je suis complètement perdue.

Le nom Cultist Simulator est trompeur à plusieurs niveaux. Non seulement la présence de simulator dans le titre convoque tout de suite des attentes particulières que le jeu se plaît à battre en brèche, mais quiconque se baserait uniquement sur son nom serait logiquement amené·e à penser que gérer un culte serait non seulement le but mais également la moelle épinière du gameplay. Or, il n’en est rien.

Certes, recruter des membres pour son culte et utiliser intelligemment les ressources que celui-ci vous procure est un des aspects central du jeu. Mais votre but ultime n’est ni de créer une communauté unie par ses aspirations spirituelles, ni de faire les poches à vos ouailles avant de vous enfuir avec la caisse. Non, votre véritable objectif est de lever le voile sur les secrets de l’Univers.

Cultist Simulator aurait facilement pu s’appeller Occultist Simulator. Vous gérez un culte, certes, mais il s’agit moins de l’Église catholique ou du mouvement raëlien que de l’ordre hermétique de l’Aube dorée. Vous n’êtes ni un prêtre, ni un gourou cherchant à vider les comptes en banque de ses fidèles. Vous êtes un·e alchimiste, un·e disciple d’Hermès, un·e étudiant·e des arts occultes.

Gravure sur bois représentant un homme à genoux se penchant pour regarder de l’autre côté de la voûte céleste
Gravure sur bois de Flammarion, œuvre anonyme

Le jeu est obscur, car l’occultisme l’est tout autant. Le jeu n’a pas de tutoriel, car la réalité est rarement faite de révélations divines. De la même manière que les personnes qui se lancent à corps perdu dans l’étude des textes de la bibliothèque de philosophie hermétique ne peuvent savoir par avance si leurs recherches leur permettront d’entrapercevoir le divin, votre personnage ne sait initialement pas si ce qu’il ou elle fait aboutira à quelque chose. Avez-vous perçu des motifs cachés dans les circonvolutions de l’Histoire, ou êtes-vous juste en quête de sens dans un monde qui n’en a pas ? Êtes-vous en train de percer la signification de vos rêves, ou juste de perdre la tête ?

Cultist Simulator est, en ce sens, un excellent jeu de simulation. Comme dans la réalité, l’occultisme est une discipline qui vient sans mode d’emploi. Pour progresser il vous faudra expérimenter, réfléchir, prendre des risques. Vous ne saurez jamais à l’avance quelles conséquences auront vos actions. Cultist Simulator est un jeu dont le but est de comprendre ses règles.

Au début, rien n’a de sens. Et puis vous percevait des motifs, des thèmes récurrents. La Forêt, les Heures, la Maison-sans-murs…

Cultist Simulator vaut qu’on s’y accroche. La première approche est souvent rude, mais si vous aimez les jeux avec un univers riche et complexe, les énigmes, ou l’esthétique de l’occultisme, il y a de fortes chances qu’il puisse vous plaire. Je sais que, pour ma part, quand j’ai lancé ce jeu pour la première fois en 2019, je ne m’attendais ni à ce qu’il me plaise autant, ni à ce que, des années plus tard, il ait eu une telle influence sur moi en termes d’esthétique.

Et si le jeu vous intéresse, mais que vous avez été jusqu’ici bloqué·e par la barrière de la langue, bonne nouvelle ! Weather Factory, le studio indépendant derrière le jeu, a annoncé il y a quelques jours que Cultist Simulator sera bientôt disponible en français.

Soyez prudent·e·s et n’oubliez pas : les murs du Mansus ne sont pas plus épais que la lumière des étoiles.